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BATTERIES

La course aux gigafactories est lancée

Le marché des batteries est dominé par l’Asie, qui assure plus de 85% de la production mondiale, mais l’Europe met les bouchées doubles pour rattraper son retard.

Par Bertrand Beauté

Alors que la guerre en Ukraine fait rage et qu’une pénurie de gaz menace l’Europe, Olaf Scholz a pris le temps de se déplacer à Salzgitter, en Basse-Saxe, début juillet, pour assister au lancement de la construction de la première usine de batteries de Volkswagen. Le chancelier allemand tenait à marquer le coup.

Pour le constructeur automobile, cet événement constituait le coup d’envoi d’une offensive majeure dans le secteur. Le groupe allemand prévoit en effet de construire six gigafactories de batteries en Europe d’ici à 2030, pour un investissement de 20 milliards d’euros. « C’est un grand jour pour l’industrie automobile en Allemagne et en Europe », s’est félicité Olaf Scholz. Et un tournant majeur pour le Vieux Continent.

Jusqu’ici, en effet, le marché mondial est largement dominé par l’Asie qui assure plus de 85% de la production mondiale des cellules de batteries, ne laissant que des miettes aux États-Unis (12% de la production) et à l’Europe (3%). Et pourtant : « Les batteries lithium-ion ont été développées dans des laboratoires occidentaux il y a plusieurs décennies, raconte Giacomo Fumagalli, analyste chez Robeco. Mais à l’époque, cette technologie n’était pas considérée comme stratégique. La production a donc été délocalisée en Asie où se concentrait la fabrication de l’électronique grand public – premier débouché à l’époque des batteries lithium-ion ». Les entreprises actuellement leaders du secteur sont ainsi pour la plupart issues de l’électronique grand public à l’image du chinois BYD, des coréens LG et Samsung ou encore du japonais Panasonic.

Le chinois CATL, a quant à lui, bénéficié du soutien massif de Pékin à la création d’une industrie automobile propre dans le cadre du plan « Made in China 2025 ». « Les politiques très favorables menées en Asie et notamment en Chine ont abouti à une situation où le coût d’investissement dans une usine de batteries est beaucoup plus faible dans ces régions qu’en Europe ou aux États-Unis », précise Giacomo Fumagalli de Robeco. Résultat : fondé en 2011, CATL est devenu en moins de dix ans le numéro un mondial de la batterie, avec une part de marché de 34,8%, devant LG Energy Solution (14,4) et BYD (11,8), selon les chiffres du cabinet coréen SNE Research.

Problème : les batteries sont devenues entre-temps un enjeu majeur. Elles sont en effet au coeur de nos objets quotidiens, et elles constituent la clé de voûte de la transition énergétique. « La pandémie, la crise d’approvisionnement en semi-conducteurs ou encore la guerre en Ukraine ont montré qu’il était risqué pour un pays de dépendre de l’extérieur pour ses approvisionnements stratégiques, rappelle Michael Pye, gestionnaire d'investissements de la firme de gestion écossaise Baillie Gifford. Or les batteries sont stratégiques. Dans ce contexte, l’Europe peut, et d’une certaine façon doit, réagir en se dotant d’un approvisionnement local et diversifié. » D’autant que pour l’industrie automobile, la batterie constitue également un enjeu économique vital, puisqu’elle représente entre 30 et 40% du prix d’un véhicule électrique.

 

« La qualité des batteries produites, qui consiste à être capable d’éviter qu’elles n’explosent, est l’une des plus grosses barrières à l’entrée sur ce marché »

Christina Woon, directrice des investissements pour les valeurs asiatiques chez Abrdn

 

En 2017, l’Union européenne a donc créé l’Alliance européenne des batteries (AEB) qui vise à doter le Vieux Continent d’une capacité de développement et de production de batteries, afin de s’emparer de 25% du marché mondial en 2030, contre 3% aujourd’hui. Et les résultats commencent à se faire sentir. Créée en 2015 par Peter Carlsson et Paolo Cerruti, deux anciens de chez Tesla, l’entreprise suédoise (non cotée) Northvolt a produit ses premières cellules de batteries dans son usine de Skellefteå en décembre 2021 et a commencé les livraisons en mai 2022, devenant la première société européenne à fournir l’industrie automobile en cellules de batteries. Northvolt compte parmi ses clients et partenaires des grands noms comme le suisse ABB et les allemands BMW, Scania et Volkswagen. L’usine que construit le groupe VW à Salzgitter est d’ailleurs le fruit d’un partenariat avec Northvolt.

Et le petit poucet suédois n’est pas le seul à se lancer : une quarantaine de gigafactories sont actuellement en projet en Europe. Si toutes se réalisent, le Vieux Continent abritera une capacité de production de 1000 à 1500 GWh en 2030, soit ce qu’il faut pour équiper entre 15 et 20 millions de voitures électriques par an. De quoi satisfaire la demande locale : selon les chiffres de l’Association des constructeurs européens d’automobiles (AECA), 14 millions de voitures particulières sortaient chaque année des usines européennes avant la crise du covid.

Outre Northvolt et Volkswagen, les projets les plus ambitieux sont portés par la firme ACC (Automotive Cell Company), une coentreprise menée par Total, Stellantis et Mercedes qui entend construire trois usines en Europe à Douvrin (France), Kaiserslautern (Allemagne) et Termoli (Italie) pour une capacité totale de production qui devrait atteindre 120 GWh en 2030. Autre projet emblématique : le leader mondial de la voiture électrique Tesla prévoit de produire 100 GWh par an en Allemagne (voir la carte en p. 41).

Reste à savoir si cet élan suffira pour rattraper le retard accumulé face à l’Asie. « Fabriquer des batteries à l’échelle industrielle n’est pas facile. Cela demande beaucoup de savoir-faire. CATL, LG, Panosonic ou encore Samsung conçoivent des batteries depuis longtemps. Ils possèdent une longue expérience, souligne Christina Woon, directrice des investissements pour les valeurs asiatiques chez Abrdn. Pour les nouveaux venus, il est très compliqué de rentrer sur ce marché. Ce n’est pas impossible, mais la route est longue. La qualité des batteries produites, qui consiste à être capable d’éviter qu’elles n’explosent, est l’une des plus grosses barrières à l’entrée sur ce marché. »

En effet, si une batterie est mal conçue, notamment en raison de la présence d’impuretés, des amas de cristaux de lithium peuvent se former sur l’anode lors des cycles de charge et de décharge, jusqu’à atteindre la cathode. Ce phénomène provoque alors un court-circuit, qui peut entraîner un incendie. Pour éviter cela, la conception des batteries doit être extrêmement rigoureuse. Un défi qui demande une expertise pointue, alors que la chimie des cellules ne cesse d’évoluer et que les gigafactories doivent produire des volumes gigantesques. Pour mesurer la difficulté de ce processus de fabrication, il faut se rappeler les déboires de la gigafactory de Tesla et Panasonic dans le Nevada. Selon une enquête publiée par Business Insider en 2019, l’usine mettait alors au rebut 500’000 des 3 millions de cellules produites quotidiennement en raison d’imperfections. Pour résoudre le problème, Panasonic a dû envoyer aux États-Unis des spécialistes japonais.

« De nombreux constructeurs automobiles souhaitent à terme disposer d’une capacité de production en interne, car la batterie est un composant clé, poursuit Christina Woon. Mais pour le moment, compte tenu de la difficulté à développer une expertise à partir de zéro et à engendrer un volume de production important rapidement, ils ne peuvent y parvenir seuls. À court terme, nouer des partenariats avec des spécialistes de la batterie est la solution de choix. »

Le géant Stellantis – issu de la fusion PSA Peugeot-Citroën et de Fiat Chrysler Automobiles – a ainsi noué un partenariat avec LG Energy Solution en mai 2022, afin de construire une usine au Canada. Même schéma pour Toyota et Tesla, par exemple, qui ont tout deux créé des joint-ventures avec Panasonic. « Avoir des décennies d’expérience est un énorme avantage dans le secteur de la batterie. Pour les entreprises européennes, il reste un long chemin à parcourir pour rattraper les sociétés asiatiques, confirme Giacomo Fumagalli. L’avenir nous dira si l’Europe peut rattraper son retard, mais la course sera d’autant plus difficile que les leaders actuels continuent d’avancer et d’investir massivement. » Un élément pourrait néanmoins favoriser l’industrie européenne : la législation. En mars 2022, les ministres de l’Environnement de l’Union ont en effet adopté un règlement encadrant tout le cycle de vie des batteries, de la production au recyclage, en passant par la collecte. Et sur ce point précis, les entreprises européennes ont de l’avance sur leurs homologues chinoises : Northvolt, dont la construction de l’usine de recyclage, Revolt Ett, a démarré début 2022, s’est déjà engagée à ce que ses batteries soient produites à partir d’au moins 50% de matériaux recyclés en 2030.


La mode est au giga

C’est le mot en vogue dans l’industrie. On ne parle plus d’usine, de site de production ou de fabrique mais de gigafactory. Le terme fait référence à une usine gigantesque spécialisée dans la production en très gros volume. L’expression a été popularisée en 2014 par Tesla, qui lançait alors la construction de la Tesla Giga Nevada (ou Gigafactory 1), une usine de fabrication de batteries pour ses véhicules. Depuis, le mot a été adopté par l’ensemble de l’industrie. Mais pourquoi est-ce si important de disposer de gigafactories dans le secteur des batteries ? « C’est une industrie très difficile, très compétitive, où certaines entreprises ne font pas des marges incroyables, répond Giacomo Fumagalli, analyste chez Robeco. Dans ce contexte, disposer de gigafactories est important, parce que cela améliore les rendements. Plus les volumes de production sont gros, plus l’entreprise peut produire des batteries à bas coût. » Un élément qui donne un autre atout aux acteurs historiques qui disposent déjà de très grandes usines, alors que les nouveaux entrants vont devoir investir massivement pour rattraper leur retard et être compétitifs.