
10 firmes solidement implantées
Trois big pharmas et une poignée de medtechs contrôlent le marché mondial du diabète. Pour les nouveaux venus, il est difficile de se faire une place.
Par Bertrand Beauté
« Notre FreeStyle Libre sera un business à 10 milliards de dollars par an d’ici à cinq ans. » Lors d’une conférence organisée par J.P. Morgan au début janvier, Robert Ford, le CEO de Abbott Laboratories, n’a pas caché les immenses espoirs qu’il plaçait dans la troisième édition du FreeStyle Libre, son appareil mesurant le glucose en continu destiné aux diabétiques. Approuvée en 2008 par la Food and Drug Administration (FDA), la première édition de ce dispositif a révolutionné la vie de millions de diabétiques dans le monde. Pour la première fois, ces derniers n’avaient plus besoin de se piquer le bout du doigt plusieurs fois par jour pour relever leur taux de sucre dans le sang. Un simple patch appliqué sur la peau le faisait pour eux, de manière simple et automatique.
Approuvée en juin 2022 par la FDA, la troisième édition de l’appareil apporte son lot d’améliorations et notamment la possibilité que toutes les données soient transmises en temps réel au smartphone de l’utilisateur – une application idoine fournissant des conseils. Mais si Abbott, de par son ancienneté sur ce marché, possède la plus grande communauté de patients (plus de 4 millions de diabétiques utilisent le FreeStyle), l’entreprise américaine voit une concurrence féroce empiéter sur ses platebandes, en particulier Roche Diabetes Care avec son appareil Eversense E3 et surtout Dexcom avec son capteur G7. Une majorité d’analystes recommandent néanmoins d’acheter le titre Abbott, qui s’est déjà apprécié de 70% ces cinq dernières années. À noter : les appareils médicaux, dont le FreeStyle, ne représentent que 33,6% du chiffre d’affaires de l’entreprise qui est également active dans la nutrition, les diagnostics et la pharmacologie.
Un million de pièces écoulées par an d’ici quatre ans. Tel est l’objectif de vente de Biocorp pour son dispositif Mallya. Ce capteur qui se fixe sur les stylos injecteurs d’insuline transforme ces derniers en dispositifs connectés. À 50 euros la pièce, l’entreprise française pourrait ainsi générer un chiffre d’affaires de 50 millions d’euros en 2027, avec une marge brute de 55 à 60%. Une perspective à laquelle adhèrent les deux analystes qui couvrent la valeur, et qui recommandent l’achat du titre. Pour se développer, Biocorp peut compter sur les partenariats qu’elle a noués avec les géants du secteur (Sanofi, Novo Nordisk, Roche Diabetes Care). Son dispositif électronique est ainsi compatible avec la plupart des stylos d’injection d’insuline jetables, notamment le SoloStar de Sanofi, le KwikPen d’Eli Lilly et le FlexPen de Novo Nordisk. Mais la PME française doit encore relever le défi de l’industrialisation massive pour parvenir à ses fins. L’entreprise a investi 2 millions d’euros sur son outil industriel, afin d’augmenter sa production dès juin 2023. De quoi alimenter le marché européen et surtout les États-Unis – premier marché mondial du diabète en valeur – où son dispositif vient d’être autorisé. Si le succès est au rendez-vous, il n’est pas exclu que Biocorp finisse par se faire avaler par un mastodonte du secteur. « Un rachat pourrait représenter à terme une opportunité pour l’entreprise », confirme Éric Dessertenne, CEO de Biocorp.
Contrairement à plusieurs de ses concurrents comme Abbott, Medtronic ou Roche Diabetes Care, l’américain Dexcom a la particularité d’être focalisé sur un seul domaine : la mesure du taux de glucose en continu via un capteur fixé sur la peau (CGM). De l’avis des spécialistes que nous avons consultés, son nouveau dispositif Dexcom G7 est doté de la technologie la plus avancée parmi tous les systèmes CGM actuellement sur le marché. De quoi séduire les analystes qui recommandent, à une large majorité, d’acheter le titre qui s’est déjà apprécié de plus de 640% au cours des cinq dernières années. L’entreprise compte aujourd’hui 1,7 million de clients, un chiffre en pleine croissance puisque le revenu de la société s’est apprécié de près de 20% en 2022, avec une marge opérationnelle de 16%. Par rapport au capteur CGM le plus vendu du marché, le Freestyle de Abbott, le produit de Dexcom possède l’avantage d’être approuvé pour une utilisation dite en boucle fermée (lire en p. 32) avec les principaux systèmes d’administration d’insuline développés par les firmes Tandem Diabetes et Insulet.
Un tweet, neuf mots, 15 milliards partis en fumée. C’est la mésaventure vécue par Eli Lilly. Le 10 novembre dernier, un faux compte, usurpant l’identité du laboratoire américain mais certifié par Twitter, annonce : « We are excited to announce insulin is free now. » En urgence, le vrai compte Twitter de Eli Lilly réagit, s’excusant auprès de « ceux qui ont reçu un message fallacieux provenant d’un faux compte Lilly ». Mais le mal est fait. L’action d’Eli Lilly plonge de 4% dans la journée, rappelant la dépendance du laboratoire américain à cette hormone. Les différentes formulations d’insulines commercialisées par Eli Lilly représentent en effet près de 20% de son chiffre d’affaires. Pour autant, cette petite frayeur boursière ne doit pas cacher les belles perspectives de Eli Lilly dans le domaine du diabète, où l’insuline ne devrait bientôt plus jouer qu’un rôle secondaire. L’entreprise a en effet lancé en 2016 le Trulicity, un analogue du GLP-1, pour le traitement du diabète de type 2. Ce médicament est vite devenu le produit phare du laboratoire avec des ventes record de 7,4 milliards de dollars l’an passé. Et les analystes s’attendent à ce que le Mounjaro – un autre analogue du GLP-1 développé par Eli Lilly – connaisse un destin encore plus glorieux. En effet, après avoir autorisé ce médicament pour les diabétiques de type 2 en mai 2022, la FDA devrait l’homologuer pour le traitement de l’obésité en 2023. Dans une note publiée au début janvier, l’analyste de Goldman Sachs Chris Shibutani estime que le Mounjaro pourrait générer 2,3 milliards de dollars en 2023 et 27 milliards en 2032. Comme la plupart des analystes, il recommande donc d’acheter le titre.
L’histoire d’Insulet est presque trop belle pour être vraie. Elle commence à la fin du dernier millénaire lorsque John Brooks III, un entrepreneur américain, apprend une mauvaise nouvelle : son fils Robert, âgé de trois ans, est atteint de diabète de type 1. John Brooks III s’intéresse alors aux différentes options existant sur le marché pour injecter de l’insuline à son enfant. Mais aucune ne le satisfait.
La suite ? Comme dans un bon film hollywoodien, l’entrepreneur se retrousse les manches et se met au travail. Puisque l’appareil qu’il voudrait pour son fils n’existe pas, il le créera lui-même ! Il cofonde la compagnie Insulet qui développe une pompe à insuline baptisée Omnipod, dont la première version est autorisée par la Food and Drug Administration (FDA) en 2003. Après des premières années difficiles, Insulet décolle véritablement en 2015. Aujourd’hui, le chiffre d’affaires de l’entreprise dépasse le milliard de dollars, avec une croissance de 20% par an, et l’Omnipod en est à sa cinquième version. Une majorité d’analystes recommandent d’acheter le titre qui a déjà progressé de 275% ces cinq dernières années.
Connue dans le monde entier pour ses dispositifs cardiovasculaires (stimulateurs cardiaques, défibrillateurs, stents, valves), la compagnie américaine Medtronic, basée à Dublin, est également présente dans le secteur du diabète. En 2017, l’entreprise a fait sensation en devenant la première société à recevoir l’autorisation de la Food and Drug Administration (FDA) pour la mise sur le marché d’un système en boucle fermée destiné aux diabétiques de type 1.
Baptisé MiniMed 670G, ce dispositif est composé d’un capteur de taux de glucose en continu relié à une pompe à insuline, le tout étant géré via un algorithme qui permet de délivrer automatiquement le médicament en fonction des besoins du patient. Mais depuis, de nombreux concurrents ont débarqué sur ce terrain, venant grignoter les parts de marché de Medtronic. Sur l’année fiscale achevée en août 2022, les revenus de l’entreprise dans le secteur du diabète ont ainsi baissé de 3%. Ils ne représentent toutefois que 7% du chiffre d’affaires total de la société. Pour se relancer sur ce front, Medtronic vient de lancer le système MiniMed 780G, successeur de son illustre ancêtre. Une majorité d’analystes recommande de conserver l’action.
Sur les cinq dernières années, l’action de Novo Nordisk s’est appréciée de plus de 200%. Et la tendance devrait se poursuivre : une majorité d’analystes continuent de recommander l’achat du titre du numéro un mondial du diabète. Il faut dire que la firme danoise, qui fête son centenaire cette année, a su habilement se renouveler au fil du temps. L’histoire de Novo Nordisk débute en 1923, lorsque August Krogh, Prix Nobel de médecine, et sa femme Marie, diabétique de type 1, rapportent du Canada le brevet de l’insuline. Ils fondent alors Nordisk Insulin Laboratorium, qui deviendra Novo Nordisk, afin de produire et commercialiser la précieuse hormone sur le Vieux Continent.
Au fil des années, l’entreprise a développé une large gamme d’insulines pour différents usages (longue durée, action rapide, ultra rapide), jusqu’à devenir le leader incontesté du secteur, avec une part de marché qui dépasse en valeur les 40% aujourd’hui, devant le français Sanofi et l’américain Eli Lilly. Mais Novo Nordisk ne s’est pas contentée de jouir de sa « rente », préférant élargir son activité tout en restant centrée sur le diabète. En 1985, la société étrenne le premier stylo à insuline et en 1999, l’un des premiers dispositifs de mesure en continu de la glycémie approuvé par la Food and Drug Administration (FDA) – lequel nécessitait toutefois de se piquer pour effectuer des glycémies de contrôle. La firme commercialise désormais ses propres systèmes connectés. En outre, alors que la pression sur les prix de l’insuline augmente, Novo Nordisk a également su réduire sa dépendance à cette hormone en lançant une nouvelle classe de médicaments contre le diabète de type 2, appelés analogues du GLP-1, qui sont devenus sa première source de revenus, devant les insulines. En 2021, la FDA a autorisé l’un des GLP-1 de Novo Nordisk (le Wegovy) pour le traitement de l’obésité. De quoi ouvrir au laboratoire danois un marché encore plus important que celui du diabète : selon l’OMS, près d’un milliard de personnes (adultes et adolescentes) sont obèses dans le monde.
Sanofi accumule les déboires ces dernières années. Numéro un mondial des vaccins, le groupe pharmaceutique français a perdu la course au vaccin contre le covid – sa formulation n’ayant été autorisée par les autorités européennes qu’en novembre 2022, soit près de deux ans après celle de ses concurrents Moderna et Pfizer- BioNTech. Sur le front du cancer, l’entreprise a annoncé en août 2022 l’arrêt du développement de l’Amcenestrant, après des résultats décevants lors d’une étude de phase III. Un coup dur puisque l’Amcenestrant, molécule phare du pipeline de l’entreprise, se trouvait dans la dernière phase de son développement avant commercialisation. Enfin, les perspectives ne sont pas davantage réjouissantes dans le secteur du diabète. Numéro trois mondial de l’insuline, Sanofi doit faire face à la pression toujours plus grande des autorités pour baisser les prix de ce médicament vital. Les ventes du Lantus – l’insuline la plus vendue par Sanofi – sont ainsi passées de 3 milliards d’euros en 2019 à 2,66 milliards en 2020, puis 2,49 milliards en 2021.
Les revenus de la division diabète prise dans sa globalité se sont établis à 4,5 milliards d’euros en 2021, en baisse de 1% sur un an. Et, à la différence de ses concurrents Eli Lilly et Novo Nordisk, Sanofi ne possède aucune molécule dans son pipeline pour relancer ses ventes dans ce secteur. Une majorité d’analystes recommandent néanmoins d’acheter le titre, notamment en raison des bons résultats de son best-seller, le Dupixent (un médicament prescrit dans le traitement des dermatites) dont les ventes ont atteint 5,249 milliards d’euros en 2021, en hausse de 52,7% sur un an.
Avec près de 400’000 clients revendiqués dans le monde, la medtech américaine Tandem s’est fait une place de choix dans l’univers du diabète en seulement une quinzaine d’années d’existence. Comment ? Grâce à un produit emblématique : une pompe à insuline baptisée t :slim, qui améliore grandement la qualité de vie des patients diabétiques de type 1, représentant 90% des clients de Tandem. Pour ces derniers, en effet, l’insuline est un médicament vital, qu’ils doivent s’injecter plusieurs fois par jour. Depuis les années 1980, ces injections se font via un stylo à insuline – un geste qui peut s’avérer stigmatisant pour les diabétiques. La pompe, comme celle développée par Tandem, est un petit appareil qui se fixe sur le corps, généralement sur le haut de la fesse ou le ventre, et administre automatiquement ou à la demande l’insuline à l’utilisateur. Reliée via Bluetooth au système de mesure de glucose en continu de Dexcom, la pompe à insuline de Tandem permet de créer une sorte de pancréas artificiel qui injecte de l’insuline en fonction du taux de glucose du patient, via un algorithme. Si le système ainsi formé n’est pas encore pleinement indépendant – les patients doivent ajuster les doses d’insuline en fonction de leurs repas et de leurs activités –, il a permis une grande autonomisation des diabétiques de type 1. Une majorité d’analystes recommandent d’acheter le titre de Tandem, qui s’est pourtant déjà apprécié de plus de 1400% ces cinq dernières années.
Fondée en 1984 par les frères bernois Willy et Peter Michel, Disetronic fut l’une des premières sociétés au monde à mettre sur le marché une micro- pompe à insuline. Si en 2003 les deux fondateurs ont revendu Disetronic au géant Roche, ils en ont conservé la division injection, sous le nom d’Ypsomed. Cotée depuis 2004 au SIX Swiss Exchange, la société est toujours active dans le secteur du diabète, commercialisant notamment une pompe à insuline (l’YpsoPump), un capteur de glycémie (l’Unio Cara) et un logiciel (mylife). L’entreprise a par ailleurs signé un partenariat avec l’américain Dexcom afin de commercialiser un système en boucle fermée constitué par la pompe et l’application d’ Ypsomed, combinées au capteur de glucose en continu Dexcom G6. Les trois analystes couvrant Ypsomed recommandent d’acheter le titre.